Tout finit par faire sens – chapitre 1

La Genèse

En janvier 2020, j’ai pris la décision de déscolariser nos enfants, pour 6 mois, jusqu’à juin.

Iels avaient tous les deux, à 10 et 7 ans, perdu l’envie d’apprendre.

Cela faisait plusieurs années que je me questionnais sur le fonctionnement de l’éducation nationale et ce qu’elle apportait réellement à nos enfants. A vrai dire, principalement depuis la rentrée à l’école de la seconde. Nous nous sommes intéressés aux philosophies éducatives de Montessori, Steiner et Stern, nous avons visité des écoles alternatives, sous et hors contrat, mais les listes d’attentes et les coûts de scolarité avaient rendu l’option inenvisageable.

Notre fils S. s’était adapté autant que possible… Après une maternelle sans ombres, la rentrée en primaire avait été un peu houleuse. Il était très -voire un peu trop, visiblement- respectueux des règles, et certains autres enfants ne se donnaient pas autant de mal, ce qui générait chez lui beaucoup de frustrations et de colère. Ce fameux sentiment d’injustice, alors qu’il perdait une partie au sport parce qu’il respectait les consignes, ou qu’il était puni quand c’était un autre qui l’embêtait par derrière…

Je lui expliquai qu’il fallait qu’il apprenne à se défendre, que nous ne pouvions pas toujours être là, et que c’était à lui de poser ses limites.

Ce qu’il fit… Et je vis mon petit soleil s’assombrir, se forger une carapace, un peu marlou, un peu bravache et prétentieux, dans une attitude un peu agressive pour mieux se défendre.

Au bout de quelques mois, il a eu l’air de trouver une place dans l’écosystème de la cour d’école, à peu près équilibrée entre qui il était et qui il devait être… Ses résultats scolaires étaient bons sans être brillants, il ne faisait à priori pas plus de bêtises que la normale… Il avait l’air de trouver des marques, à défaut de trouver les siennes.

Je trouvai tout de même qu’il rentrait bien vite dans une attitude très proche de ce que l’on nomme la pré-adolescence : façon de répondre un peu abrupte, manque d’enthousiasme, attitude passive-agressive… Je me rassurai en me disant que les enfants d’aujourd’hui évoluent plus vite.

 

Notre fille C., quant à elle, a très tôt décidé qu’elle n’aimait pas l’école… dès qu’elle a eu à y aller, en fait. Très vite, elle s’est ennuyée, et cet ennui la terrorisait. Je me souviens d’un soir, alors qu’elle prenait son bain, où elle hurlait, les larmes lourdes roulant sur ses joues rebondies, rouges de désespoir, qu’elle allait s’ennuyer TOUTE sa VIE, et que ça ne servait à RIEN. Elle devait avoir 5 ans… C’est aussi à cet âge-là qu’elle a menacée de se suicider pour la première fois. Fort heureusement, ce n’était que des mots, qui ne se sont pas transformés en acte.

Mais dès qu’elle avait un coup de mou, un coup de fatigue, ou un coup de faim, tout tournait au noir le plus sombre, force nihiliste impressionnante chez une enfant si jeune. Débordements émotionnels incontrôlés, incontrôlables et violents pour tout le monde, à commencer par elle-même. L’impression de ne pas être normale, de ne pas être « comme tout le monde ». Parfois, elle se cognait le front de son petit poing fermé, en disant : « de toutes façons, je le sais, je viens pas de cette planète, et même pas de cette galaxie ! Je viens pas d’ici, je suis pas d’ici ! »

Pour ne rien arranger, dès la première année de maternelle, elle est tombée sur une petite fille très possessive, avec qui elle avait une relation très ambivalente. Jusqu’à l’année de CP, où, en accord avec la directrice de la maternelle, nous avions signalé au primaire qu’il valait mieux qu’elles ne soient pas dans la même classe.

Mais les problèmes ont ressurgi dès le CE1, lorsqu’elles se sont une fois de plus retrouvées dans la même classe… Une fois de plus, notre fille n’arrivait pas à poser ses limites face à cette enfant autoritaire et décidée, qui l’impressionnait visiblement beaucoup (connaissant notre fille, ça peut paraître étonnant, toujours est-il qu’elle ne le vivait pas bien).

J’ai bien essayé d’en discuter avec la maman de la fillette, en présence de nos filles, dès la rentrée, pour essayer de désamorcer, mais… ça n’a pas suffi. J’en ai donc parlé à la maîtresse, mais comme ça ne suffisait toujours pas, j’ai fait appel à une éducatrice spécialisée dans le harcèlement à l’école, pour que notre enfant apprenne à se défendre des relations parasites. Parlons-en de la socialisation, à l’école.. ! Un passage du livre Apprendre autrement avec la pédagogie positive (cf bibliographie) illustre assez bien la réalité : bien souvent, au lieu d’être accompagnés et utilisés comme véritable terrain d’apprentissage des relations humaines, les conflits sont résolus arbitrairement, laissant la plupart du temps un goût amer d’injustice et de truc pas digéré, parfois même des deux côtés du conflit.

 

Pendant toutes ces années, je me suis beaucoup remise en question. Pourquoi, malgré tout l’amour que je leur porte, mes enfants semblent-ils être si fragiles dans leurs fondations ? Pourquoi, alors que j’ai l’impression d’être à l’écoute et d’accueillir, ce sentiment profond d’incompréhension de ma fille ? Pourquoi la colère sourde et rentrée de mon fils, qui éclate de temps à autres sur des événements qui pourraient paraître anodins ?

J’ai entrepris une thérapie autour des constellations familiales (et lu le très intéressant Votre corps a une mémoire de Myriam Brousse), ce qui m’a aidée à prendre du recul sur ce que je portais moi-même comme sac à dos, à identifier ce que je vivais et comment je le vivais. A comprendre ce que vivaient mes enfants… et comment ils le vivaient. Et que tout ça ne m’appartenait pas forcément, n’était pas systématiquement relié à moi et uniquement à ce que j’avais pu dire ou ne pas faire, mais bien à eux, et un peu, quand même aussi, au contexte plus général dans lequel ils évoluaient. Nous sommes le résultat de l’interaction permanente entre notre environnement et notre façon de le percevoir.

Pendant toutes ces années, j’ai essayé d’accueillir, de composer, de tempérer ces petits drames quotidiens. Je m’entendais dire à mes enfants, chaque jour ou presque, derrière mes phrases se voulant rassurantes et bienveillantes, mais qui révélaient surtout mon impuissance : « C’est comme ça, il faut aller à l’école », « on ne peut pas s’entendre avec tout le monde, il faut apprendre à faire avec ».

Je ne remettais pas en question l’utilité de l’école, je me disais que c’était normal de tirer mes enfants de leur sommeil, de les arracher à leurs lits douillets et chauds pour ensuite les presser à se préparer pour partir, même s’iels n’en avaient pas envie. Je croyais qu’on ne pouvait pas faire autrement, que c’est aussi comme ça qu’on apprend la vie, non ? On apprend à se lever le matin pour avoir un rythme conforme aux attentes de la société, et c’est comme ça qu’on apprend à être adulte, c’est le modèle qu’on m’a vendu quand j’étais enfant, après tout !

Au cours des années, la tension est montée, graduellement. Jusqu’à ce que S. soit en CM2 et C. en CE1.

Je venais de perdre ma mère, et après un gros passage à vide de six mois, l’urgence de la vie reprenait le dessus. Je me sentais bien dans mon activité professionnelle, et dans le rôle que j’apprenais à incarner au sein de la coopérative dont je fais partie.

Depuis cette fameuse rentrée, chaque jour, je me retrouvais à essayer d’expliquer les incohérences de sa maîtresse à mon fils, alors même que je n’adhérais pas à ses méthodes. J’essayais de tempérer, en demandant à mon fils d’être compréhensif…   « Ça ne doit pas être facile d’avoir 30 élèves, et chacun trouve sa façon de se faire respecter… Même si pour cela elle croit qu’il vaut mieux être crainte… T’as compris comment elle fonctionne, essaye de passer sous le radar… »

Ce qu’il fit, mon petit contorsionniste discret et rêveur.

De l’autre côté, depuis la rentrée, chaque jour, je me prenais les rafales de plus en plus violentes des émotions de ma fille, qu’elle devait contenir toute la journée… et qu’elle laissait violemment exploser lorsqu’elle rentrait, débordant du trop-plein cumulé.

Je demandai à rencontrer la maîtresse, pour lui expliquer que C. s’ennuyait mortellement beaucoup. Elle a eu l’air surpris, « C. est tellement intégrée, elle participe, elle aide les autres », elle n’avait pas ressenti de malaise… Elle proposa que C. fasse des exposés sur des sujets de son choix. A la maison. Alors que c’est dans le temps de classe qu’elle s’ennuie, justement.

De mon côté, je commençais franchement à me demander quel genre de mère j’étais pour mes enfants, avec cette impression de plus en plus dérangeante de défendre une cause qui n’est pas la mienne, au détriment de leur épanouissement… et du mien.

 

La naissance de notre fils en 2009, alors que j’étais encore salariée, m’avait fait entrevoir que la perspective du métro-boulot-dodo-crédit-chien-auto ne me faisait pas rêver. Après m’être formée en parallèle de mon travail, j’ai fini par me lancer à mon compte en 2014, après mon deuxième congé parental. Et je n’ai eu de cesse, depuis et non sans mal, de faire évoluer mon environnement professionnel dans le sens du plaisir et de l’enthousiasme, moteurs extrêmement puissants et indispensables à l’envie d’avancer.

Et je me suis rendu compte que, finalement, je demandais à mes enfants d’apprendre tout ce dont j’avais mis tant de temps à me débarrasser. Les conditionnements, les pensées limitantes, les il faut/je dois, la subordination, la lourdeur de toutes ces injonctions sociétales de plus en plus contradictoires, le manque d’indulgence envers soi et les autres, la peur de l’échec, le sentiment d’illégitimité.

Est-ce vraiment normal de ne plus avoir envie d’apprendre à 7 et 10 ans ? Est-ce vraiment de leur faute ? Ou de la mienne ? Ou est-ce que simplement, la façon d’enseigner et les sujets abordés ne sont-ils pas, complètement et plus que jamais, déconnectés de ce que les enfants d’aujourd’hui auraient besoin d’apprendre, de découvrir, d’expérimenter ?

Depuis 2017, mon activité avait atteint un petit rythme de croisière qui me convenait bien, avec un ratio temps passé/rémunération correct, me laissant du temps pour moi, pour mes enfants, et pour vivre un peu à contre-courant.

Fin novembre 2019, après avoir passé toute la première période de l’année scolaire à tenter de réconcilier mes enfants avec l’école, qui décidément leur déplaisait de plus en plus chaque jour, l’idée commença à germer sérieusement.

Finalement, pourquoi pas, tenter l’aventure de l’instruction en famille pendant six mois, de janvier à juin ?  Les laisser souffler et faire le point sur leurs aspirations, leurs motivations… S. rentre potentiellement au collège après, c’est l’ultime occasion de passer un peu de temps privilégié ensemble avant qu’il ne s’envole dans l’adolescence et ne m’échappe totalement…

Je me renseigne. A ma grande surprise, sur le site du gouvernement, je lis ces quelques lignes :

L’instruction est obligatoire pour tous les enfants, français et étrangers, à partir de 3 ans et jusqu’à l’âge de 16 ans révolus. Les parents peuvent choisir de scolariser leur enfant dans un établissement scolaire (public ou privé) ou bien d’assurer eux-mêmes cette instruction. L’instruction dans la famille, parfois appelée école à la maison, doit permettre à l’enfant d’acquérir des connaissances et des compétences déterminées. L’instruction donnée et les progrès de l’enfant sont contrôlés. (https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F23429, le 11/10/2020)

 

C’est donc bien l’Instruction qui est obligatoire et non pas l’Ecole ?! Combien sommes-nous encore aujourd’hui à faire cet amalgame ?!?

Je n’ai donc pas besoin de demander d’autorisation et d’attendre pendant un temps infini que cette demande parvienne au service administratif responsable, sans parler du délai de traitement et de réponse ? Ça veut dire que si je veux, je n’ai qu’à le déclarer à ma mairie et à l’académie, pour information ?

Déjà, ça me rassure. Mon compagnon n’est pas forcément sur la même longueur d’onde. Il est très pris par ses activités professionnelles, et ne voit pas bien comment dégager du temps.

Je commence à en parler autour de moi, encore pleine de doutes. Beaucoup me mettent en garde, font ressortir les points de vigilance à avoir, les écueils possibles.

Le déclic final a été donné mi-décembre par une énième exaction de la maîtresse de mon fils, alors même qu’elle en avait déjà enchaîné pas mal depuis la rentrée.

Je participais à un groupe whatsapp avec d’autres mamans, pour échanger et partager les devoirs. Il y en avait beaucoup, et il en manquait en général un bout dans chacun des agendas… Nous pouvions ainsi recréer la mosaïque entière, à grand renfort de photos et de commentaires.

Un jour, une maman témoigne, encore un peu sous le choc :

« Ma fille (fait partie des 3 « dys » suivi.es de la classe) a été absente quelques jours parce qu’elle était malade, j’ai le certificat du médecin, et déjà qu’elle a du mal à suivre, quand elle loupe 3 jours, c’est la cata… Elle est retournée à l’école aujourd’hui, et je l’ai récupérée en pleurs… La maîtresse l’a grondée devant toute la classe, en lui demandant si elle a[vait] un problème ?!? »

Les langues se délient. « Le mien, il n’a plus aucune confiance en lui ! », « Moi, ça va, ça ne lui tombe pas dessus, mais des fois, il se dit qu’elle est pas tendre avec certains autres… ». De mon côté, je tente un « N’avons-nous aucun moyen d’en référer à une autorité hiérarchique ? Empêcher cette personne de sévir auprès de nos enfants comme elle le fait ? » L’une des mamans avait déjà menacé l’institutrice d’en référer à l’académie, ça l’avait un peu calmée concernant l’enfant en question… Mais je ne sens pas de volonté de rassemblement, de front pour s’élever contre la sacrosainte autorité de l’enseignante.

J’avais pour ma part déjà eu le malheur, à la réunion de début d’année, d’aborder le sujet des devoirs. Elle venait de nous annoncer qu’elle en donnait, beaucoup, tous les jours, tous les week-end, toutes les vacances et jusqu’au 7 juillet. La première semaine qui venait de s’écouler confirmait allègrement le discours. Je demandai :

  • Vous commencez la réunion en nous disant que le niveau de la classe est très satisfaisant… Pourquoi tant de devoirs ?
  • C’est une façon de leur donner le rythme pour l’année prochaine. En 6ème ça ne sera pas pareil !
  • Oui, mais en tant que parents, nous passons déjà relativement peu de temps avec eux, si en plus il faut ajouter 1h à faire des devoirs chaque jour, ça ne laisse pas beaucoup d’occasions de voir et de découvrir autre chose que leurs manuels… Ce qui me paraît quand même aussi important… Qui plus est (j’ai révisé avant de venir), les devoirs écrits sont légalement interdits. Depuis 1956, et même la circulaire (n°94-226 du 6 septembre 1994) n’abroge pas cela :

Dans ces conditions, les élèves n’ont pas de devoirs écrits en dehors du temps scolaire. À la sortie de l’école, le travail donné par les maîtres aux élèves se limite à un travail oral ou des leçons à apprendre. (http://dcalin.fr/textoff/etudes_dirigees_1994.html)

  • Oui, ose une autre maman timidement, parce que nous, hier, on y était jusqu’à 20h….
  • Ils ont du temps en classe, pour s’avancer, répond la maîtresse, sèchement. Et ils peuvent aller à l’étude. Il faut qu’ils apprennent à s’organiser pour le collège.

La discussion était visiblement close. Je rentrai à la maison, et exposai à mon fils les réponses de sa maîtresse, sans parti pris. Je lui proposai de l’inscrire à l’étude, comme ça, en sortant de l’école, il était vraiment libre. Il accepta. Deux jours plus tard, il revint de l’école, l’air chiffon.

  • Qu’est-ce qui se passe, mon chéri ?
  • La maîtresse, elle m’a dit que ça l’étonnait pas que t’aies pas envie de faire les devoirs avec moi.. !

Je restai interloquée. Ce qui avait été dit en réunion parents/prof retombait sur mon enfant, qui plus est de façon totalement biaisée ?!? Ma première impulsion fut de vouloir la rencontrer individuellement pour lui dire ma façon de penser, mais je me ravisai. Après tout, c’était lui qui allait se la cogner tous les jours de cette année scolaire, et nous n’étions qu’en septembre… Je proposai donc à mon fils de faire son possible pour passer sous le radar, et que si vraiment elle ne se calmait pas un peu, il n’avait qu’à me le dire et je prendrais un rendez-vous avec elle. D’accord avec ce constat, une fois de plus, il s’adapta tant bien que mal.

 

Et quelque part, ces témoignages sur whatsapp me rassurent. Notre fils n’est donc pas le seul à en prendre pour son grade, et, s’il m’en fallait, j’ai maintenant la certitude qu’il ne joue pas les victimes pour expliquer les punitions et les remarques autoritaires en rouge sur les cahiers, et que je prenne son parti. Il n’est pas le seul à mal le vivre.

Deux jours après cet échange whatsapp, le mercredi donc, mes enfants se disputent, et j’entends mon fils brailler sur sa sœur : « Qu’est-ce que t’as, t’as un PROBLEME ?!? »

La goutte d’eau.

 

Bien sûr, je n’attends pas tout de l’école. Je crois être présente pour mes enfants, leur permettre de voir les choses du monde que j’estime, les amener à comprendre celles auxquelles je n’adhère pas, leur enseigner le respect d’eux-mêmes et de l’Autre, de l’Environnement. Mais comment faire quand ce qu’ils expérimentent là-bas, entre autres des relations humaines, va à l’encontre de mes propres valeurs, de ma façon de voir le monde ? Et pourquoi devrais-je passer autant d’énergie à rattraper les dégâts causés par le lieu même où on prétend les instruire ?

Pourquoi estime-t-on NORMAL que les enfants n’aiment pas aller à l’école ? Quelle relation ont-ils à l’Apprentissage, s’il n’est synonyme que de CORVEE et de DEVOIR ? S’il est complétement dissocié de son élément clé, l’Enthousiasme ? « Arrête de jouer, viens travailler », voilà le message que nous leur envoyons (dans la gueule, tous les jours, dès le CP). « Concentre-toi », alors que si ce que l’enfant apprenait l’intéressait, il n’aurait pas besoin de se concentrer, il serait simplement attentif.

 

Une phrase de la directrice de maternelle me revient.

Notre petit bonhomme avait fait sa première rentrée, à peine 3 ans (il est d’octobre), tout joufflu de ses rondeurs de bébé, coiffé de ses bouclettes rebondies, que nous n’avions encore jamais coupées…

Et je me retrouvais donc à ma première réunion d’école en tant que maman. J’avais entendu que certains parents pouvaient avoir des objectifs déjà très hauts pour leurs petits bouts, qu’iels sachent écrire leur prénom, à l’endroit et à l’envers, compter jusqu’à 10 fin septembre, en anglais, en chinois et en espagnol, ou que sais-je…

Et lorsque la directrice avait très gentiment annoncé que leur premier objectif était de leur apprendre à être des élèves, à l’époque, ça m’avait plutôt rassurée.

 

A ce moment-là, la phrase prend un tout autre sens…

« On leur apprend à être des élèves » … c’est donc ça !

On ne leur apprend pas à être eux-mêmes, ça non, surtout pas ! On leur apprend à se lever le matin, pour aller poser leurs fesses sur une chaise beaucoup trop d’heures d’affilées par rapport à leurs besoins physiologiques, à faire des choses qui ne les intéressent que rarement, à répondre aux problèmes posés, souvent complètement déconnectés de la réalité, de la manière qui leur a été enseignée, et dont la solution est détenue par leur supérieur hiérarchique, à grands renforts de références à d’éminents penseurs qui ont, au fil des âges de notre société occidentale, modelé notre façon de percevoir le monde. Et sûrement pas en utilisant leur tête comme ils l’entendent, et encore moins leurs ressentis.

S’iels commencent à se demander pourquoi, s’iels essaient de réfléchir par eux-mêmes, on considère qu’iels remettent en question le sacrosaint Savoir, représenté par l’équipe enseignante -ou les adultes en général- iels seront taxés d’impertinent.es et châtié.es comme il se doit, par des punitions aussi arbitraires que stériles, voire nocives.

N’est-ce pas une façon de leur apprendre dès le plus jeune âge à obéir à des injonctions parfois arbitraires sans réfléchir, à prendre la place de subordonné destiné à se plier aux bons vouloirs de sa hiérarchie, à rentrer dans la petite case qui leur est assignée, et surtout, surtout, ne pas faire de remous au nom de l’ordre social ?

Alors, bien sûr, certains enfants vivent relativement bien leur scolarité et s’épanouissent autant que possible dans cet environnement, imparfait peut-être, mais dans lequel iels trouvent leur place, leurs marques, leurs repères. Bien sûr, pour certains enfants, c’est même un soulagement de ne pas avoir à rester chez eux, tant leurs conditions familiales sont difficiles. Je ne parle pas d’interdire l’école, qui reste une chance, si tant est qu’elle reste gratuite et de qualité.

Bien évidemment (et heureusement), tous les enseignants ne sont pas dans une dynamique autoritariste. Certain.es, bien souvent guidé.es par un engagement profond, intime, et à l’écoute de tous les progrès récents en matière d’éducation et de neurosciences, parviennent même très bien à établir une relation de confiance et de respect mutuel avec leurs élèves… pour le plus grand bonheur des uns et des autres !

Mais iels sont peu nombreux, celles et ceux qui nourrissent de leur feu les heures d’écoles… Celles et ceux qui, malgré la grosse machine administrative qui tire sans cesse à l’opposé des préconisations des personnes sur le terrain, continuent à allumer des étincelles au fond de certains yeux que tout le monde croyait éteints, et iels sont encore moins nombreux à garder la foi dans leur métier sur la longueur…

A croire que les réformes successives ont plus pour but de vider les écoles de la Républiques des éléments qui auront les moyens d’avoir accès à un enseignement privé, et de qualité donc, que de favoriser le bien-être des élèves ou même des équipes enseignantes, qui s’épuisent à respecter les programmes dans des conditions toujours plus inadaptées aux contextes dans lesquels iels évoluent.

 

Et moi, il y a un moment où j’en ai MARRE de me prendre quotidiennement dans la gueule des trucs qui ne m’appartiennent pas, et qui n’appartiennent pas à mes enfants non plus. Ce n’est pas ce genre de relations que je voulais avoir avec eux, lorsque je me suis dit que j’aimerais avoir des enfants.

J’en ai marre de me péter avec eux dès le matin, à les pressuriser pour qu’ils se préparent dans les temps, lève-toi habille-toi petit déj chaussures blouson cartable c’est l’heure d’y aller, je n’en peux plus de devoir jouer les policiers du temps tous les soirs, les devoirs le bain le dîner pas le temps pour une histoire c’est l’heure d’aller se coucher parce que demain on se lève pour recommencer.

Ce n’est pas la vie que j’imaginais en me disant « je vais fonder une famille ».

Se pose-t-on vraiment la question de ce qu’on cherche à expérimenter en devenant parent ?

A grand renforts de proverbes et autres poncifs défaitistes, les conflits quotidiens semblent aujourd’hui être la norme, mais je ne peux m’empêcher d’espérer qu’une autre dynamique familiale est possible.

C’est l’occasion de faire un pas de côté face à une situation qui ne me convient pas.

Ma décision est prise, iels ne retourneront pas à l’école après les vacances de Noël. J’arrête de subir cet état de fait qui ne me convient pas, depuis des mois, voire des années… J’essaie autre chose.

On le tente –  six mois, qu’est-ce que c’est ? On ne joue pas notre vie, là ! Et puis au pire, iels retournent dans le cursus classique en septembre prochain…

Les enfants sont enthousiastes à cette idée, bien sûr. Leur père, moins. Il sait que j’ai besoin de le faire, et qu’il n’a pas vraiment le choix.

Je pressens que je vais devoir l’assumer jusqu’au bout. Plus ou moins seule, dans la pratique.

 

Cette impression qu’il va falloir réapprendre à être libre…. Cette sensation de voir mes propres conditionnements me sauter aux yeux.

Etre à l’écoute de ce qu’iels ont à nous montrer de nouveau, avec leur regard, leur ressenti.

Pourquoi s’accrocher à des valeurs vétustes quand on leur demande de créer un avenir qui leur ressemble, quand on sent bien cette bascule immense qui s’amorce, à tant de niveaux… leur monde n’est déjà plus celui de notre enfance, iels en ont une connaissance différente de la nôtre.

Et si devenir parents nous permettait de nous mettre à jour, de réapprendre le monde dans lequel nous évoluons et que nous lisons avec nos anciennes croyances, avec cet œil neuf, sans idées reçues… (re)découvrir son environnement, qui ne nous attend pas pour évoluer.

Doit-on se reposer sur des croyances valables quelques dizaines d’années plus tôt, ou s’appuyer sur les nouveaux courants qui émergent ?

 

Tout est lié. Et alors même que je ne l’ai pas vu venir, l’instruction en famille était forcément la marche d’après, dans ce parcours incroyable que j’expérimente pleinement depuis que j’ai choisi de créer mon activité.

Petit à petit, comme si de rien n’était, petites portes par petites portes, je le pressentais sans oser y croire, peut-être, sans vue d’ensemble, sans savoir où le pas d’après aller me mener… j’avais mis le pied dans un engrenage qui devait m’amener vers un accord profond avec moi-même.

Se réaligner avec soi-même.

J’ai trouvé à quoi je sers, en choisissant à quoi je sers.

Ne plus subir des situations qui ne me conviennent pas. Essayer autre chose. Et si ça ne fonctionne pas, tenter autre chose, jusqu’à ce que mon diapason interne soit accordé.

Oui, la vie EST une vallée de roses, avec ses pétales, ses odeurs, ses senteurs, ses épines, ses couleurs, ses nuances, ses passages et ses impasses, ses ombres et ses lumières… Et c’est ce qui la rend si belle !

Ne nous figeons pas dans des croyances périmées et des principes dépassés, gardons l’essentiel, le respect et la connaissance de soi, de l’autre et de notre environnement. POINT. Le reste en découle.

Que doit-on apprendre à ses enfants ? Doit-on apprendre à ses enfants ? Ou simplement leur montrer comment nous fonctionnons, pour qu’iels l’adaptent à leur façon ?

Faut-il vraiment nous battre au quotidien pour inculquer des valeurs, ou pouvons-nous essayer de trouver un cadre structurant reposant sur une relation plus horizontale ?

De quoi auront-iels besoin dans l’avenir ?
J’ai envie de leur faire confiance, de les laisser me surprendre et avancer à leur rythme.

La suite me fera comprendre que c’est clairement plus facile à écrire qu’à faire concrètement, mais n’anticipons pas.