Tout finit par faire sens – chapitre 2

Le Vif du Sujet

Les vacances de Noël se passent bien, la nouvelle est accueillie diversement par nos entourages, du « Wouah, trop bien, t’as carrément raison !! » au « Mais ça va pas ? Comment ils vont faire plus tard ? » en passant par « c’est quand même important, l’école, pour la socialisation…» ou « oui, on a essayé une année, c’était franchement pas évident ».

Mon beau-frère me propose de s’occuper d’eux le mercredi matin, et de leur proposer des activités variées, au feeling. Initiative que j’accepte bien volontiers !

Les enfants se montrent tout de suite beaucoup plus confiants… voire trop ? A la limite de l’arrogance, iels profitent de cette légitimité nouvelle que cette décision leur confère, iels étalent tout ce qu’iels savent déjà, ont l’impression de tout savoir mieux, beaucoup dans la surenchère, c’en est presque agaçant ! En même temps, iels sont aussi rapidement beaucoup plus câlins et démonstratifs. La différence est surtout flagrante chez S., qui l’est spontanément moins que sa sœur.

On verra bien quoi.

Je me suis inscrite sur un forum d’échanges entre familles IEF, il y a peu de propositions à cette époque de l’année, la plupart des rencontres se faisant en extérieur. Je finis par trouver un atelier sur la préhistoire, fin janvier, pas trop loin de chez nous. L’occasion de rencontrer un peu de monde, de discuter et d’échanger avec ces autres qui ont aussi fait ce choix. J’inscris les enfants.

 

Nous passons à la mairie, pour poser la déclaration d’IEF. J’en profite pour demander s’il y a d’autres familles dans notre commune, qui ont fait ce choix.

La jeune femme de l’accueil ne sait pas, elle entreprend de téléphoner à sa collègue des affaires scolaires pour lui demander.

  • Oui, il y en a d’autres, me répond-elle dans un demi sourire un peu gêné.
  • Ah, et… est-ce que c’est possible d’avoir leurs coordonnées, ou est-ce que c’est confidentiel ?

Elle demande à sa collègue, toujours en ligne.

  • C’est confidentiel, me répond-elle avec le même sourire, encore un peu plus embarrassé.

 

Visiblement, il ne faudrait pas qu’en plus on se rencontre, qu’on se regroupe…. Et en même temps, avec la RGPD, le droit à la vie privée, la sécurité et chacun chez soi, tout ça, c’est vrai, il faut aussi protéger les données personnelles. Admettons.

Nous commençons à noter ce que nous aimerions faire. C., qui avait pourtant déclaré à plusieurs reprises qu’elle n’aimait pas lire, propose spontanément d’aller faire la lecture aux personnes âgées dans une maison de retraite. S. veut bien qu’on écrive une pièce de théâtre, on décide de choisir des chansons en anglais qu’on aurait envie d’apprendre à chanter, j’ai envie de prévoir des voyages, un à Paris en mars, et un autre vers l’Espagne aux beaux jours, on pourrait les préparer ensemble, étudier le trajet, calculer le nombre d’heures, le nombres de kilomètres… Bref, les idées fusent et je suis confiante !

 

La nouvelle année arrive et mes activités professionnelles reprennent.

Je suis très agréablement surprise par ce tout début. C’est presque aussi fluide que ce que je n’osais même pas espérer ! Meilleur rapport entre eux, iels se chamaillent beaucoup moins. Et iels m’écoutent beaucoup plus, particulièrement quand j’ai vraiment besoin qu’iels respectent mon timing.

Peut-être parce que je prends moi-même le temps de les écouter ? Je suis encore plus confiante et sereine ; Il faudrait juste que les sceptiques normés me foutent la paix avec leurs critères de progrès et d’avancée… !!!

S. se ré-ouvre, c’est beau à voir. Beaucoup moins sombre et introverti, il se permet des effets de styles étonnants à la maison, il fait de l’esprit et joue avec les situations, je le trouve beaucoup plus à l’aise et attentif. Et C. est plus coulante avec lui, aussi, moins lâche-rien, elle lui laisse un peu plus d’espace, il a moins besoin de se sacrifier. C’est chouette, ça me fait du bien de voir que c’est possible…

C’est un peu dur d’accorder nos violons dans la cellule familiale. Iels ont tendance à se coucher tard et à se lever en décalé, leur père ne le voit pas d’un bon œil. S. voudrait lire jusqu’au bout de la nuit, et C. se persuade qu’elle ne va pas réussir à s’endormir.

On tâtonne, on essaye de trouver des compromis, des techniques, de la relaxation, des histoires, des câlins, des massages, des discussions, des gratouilles, mais le refrain reste le même : « je suis trop excité.e j’arrive pas à m’endormir et de toutes façons j’y arriverai pas c’est sûr ».

Au-delà de tenter de leur expliquer qu’iels ont besoin de repos pour être en forme le lendemain -ce dont iels ont à peu près conscience, mais rien à cirer-, les arguments tels que « on aimerait avoir un peu de temps rien tous les deux » ou « on est ensemble toute la journée, il y a aussi un moment où j’ai besoin de faire une pause pour me ressourcer » ne suffisent pas non plus pour qu’iels restent dans leur chambre, et bien souvent, le moment tendresse du soir se finit dans la crispation… et nous finissons par imposer l’extinction des feux, de manière autoritaire. Ce qui ne me satisfait pas, mais bon, j’essaie de relativiser, chaque chose en son temps, sûrement.

 

Côté enseignements, je n’arrive pas à abandonner l’idée de continuer de suivre le Programme, même de loin, histoire de ne pas complétement fermer la porte à un retour institutionnel en septembre prochain, qu’iels ne soient pas complétement déboussolé.es et à la ramasse.

Nous allons acheter des cahiers d’exercices pour nous aider à nous cadrer un peu. S. choisit parmi les gros cahiers abordant le programme du CM2, C. opte pour un cahier CE1 Reine des Neiges. Je prends un livre proposant 365 activités, un autre destiné aux enfants « haut potentiel ». Même si je n’aime pas ce besoin de classification, ce besoin de, une fois de plus, faire rentrer dans une case, je suis curieuse de voir ce qui est proposé à « ces » enfants, d’autant que les miens présentent plusieurs traits de caractère qui pourrait laisser penser à… Qu’est-ce qu’on entend par haut potentiel ? Pour moi, un enfant EST haut potentiel à sa naissance, c’est ensuite l’interaction permanente entre qui il est et son environnement qui va lui permettre, ou pas, de développer ses potentiels.

Les premiers temps, je réussis à leur prévoir quelques occupations à visée éducative… la première, regrouper les tâches quotidiennes de la maison par grandes familles, puis les recopier dans un tableau et cocher celles dont ils pourraient s’emparer, les occupent sur 2 séances. Il avait été entendu qu’iels seraient amené.es à participer plus sur ce plan-là.

A mon grand étonnement, iels se lancent dans l’exercice avec beaucoup de plaisir. Iels œuvrent spontanément en équipe, C. dicte, S. écrit, puis C. coche pendant que S. lit… Je trouve ça chouette de les voir s’accorder pour avancer ensemble.

La suite me fera comprendre que c’est plus marrant d’écrire ce qu’il y a à faire en jolies couleurs, sur une belle grande feuille, que de réellement s’y atteler. L’éternel gap entre la Théorie, et la Pratique.

 

Je leur propose des exercices que j’ai pu glaner ici et là dans les livres que j’ai lus récemment : décrire une journée parfaite, dessiner une horloge (ou autre chose !) en 10 secondes puis en 10 minutes, la planification de la semaine à venir, un exercice sur l’identification des émotions…

Iels ne sont pas forcément convaincu.es, et se prêtent à ces activités avec plus ou moins d’enthousiasme. C. s’exaspère très vite, se met une pression d’enfer pour « faire vite, faire mieux », et se braque si elle n’y arrive pas. S. prend plus le temps, mais certaines choses le désarçonnent complètement : la tentative de planification de la semaine provoque un vif effroi, il ne veut plus faire l’école à la maison !

Je leur explique que c’est normal d’être un peu déboussolés, mais qu’on va essayer des choses, on verra ce qui marche et ce qui ne marche pas, et qu’on finira bien par trouver nos marques. On avance.

 

Leurs caractères, que je savais déjà fort différents, se dessinent très rapidement avec plus de précision.

C. a de grandes capacités de synthèse, elle sait fort bien résumer les choses et aller à l’essentiel. Elle a besoin que ça aille vite et que ça change beaucoup. C’est plus compliqué lorsqu’il s’agit de prendre le temps de développer, une histoire ou une compétence, et elle a un esprit de compétition très marqué. Elle aime faire des choses exceptionnelles (et cools) tous les jours, et laisse jaillir ses émotions, quelles qu’elle soient. Elle est très mélomane, et aime bouger son corps, même si elle fait encore (déjà ?) très attention au regard des autres.

S., lui, est très précis et minutieux, il aime les détails dans lesquels il lui arrive de nous perdre… Il part facilement dans sa bulle intérieure, et a une imagination très fertile. Il redécouvre le plaisir spontané de se déguiser ou décorer ses chaussures au Posca, et laisse ressortir son clown, touchant et drôle. Il voudrait aussi passer sa vie devant les écrans, être youtubeur. Il commence à s’entrainer à faire des petites vidéos, où il s’adresse à d’hypothétiques followers (a priori et en nous basant sur les préconisations, il n’aura pas de compte en ligne avant ses 13 ans). Son père lui a téléchargé un logiciel de montage sur tablette, qui lui permet de faire des petits films d’animation avec ses Lego. Il passe des heures à placer, photographier, mettre en scène, bruiter les petits scenarii qu’il imagine.

 

Assez vite, je me heurte cependant aux problèmes de la place des écrans. Pas si facile de proposer une activité qui surpasse le plaisir immédiat que procurent ces petites bestioles numériques. Bien souvent je me retrouve à proposer quatre, cinq, six options, avant de devoir finir par leur imposer celle qu’iels estiment la moins pire…

Cela me met face à un paradigme auquel je n’avais pas pensé. Malgré moi, j’avais bel et bien projeté une sorte d’idéal à atteindre dans cette expérience. Et je n’étais pas tout à fait prête à me confronter à cette réalité que je vivais, et qui ne résonnait pas comme je l’attendais, plus ou moins consciemment.

Les occasions de rencontrer d’autres familles IEF ne sont pas si fréquentes, et je ne sais pas bien comment m’y prendre pour établir des contacts. L’une des rencontres (dans un grand parc à côté de Lyon) a été un flop total, nous étions seuls, sans aucun moyen de joindre personne évidemment… J’ai compris après que si la météo est trop capricieuse, de fait, la rencontre est annulée.

L’autre rencontre, le fameux atelier sur la Préhistoire, auxquels mes enfants n’ont pas vraiment accroché, se termine sur un temps d’échange informel. Malgré le froid pénétrant, les enfants jouent, et certains adultes, des mamans, discutent en cercle. Je finis par réussir à rejoindre une discussion, non sans mal, pour poser quelques questions… On me fait comprendre que c’est chacun à sa sauce, et qu’il n’y a pas de recette magique.

 

Je dois donc me faire confiance… COMMENT ?? Je me débats encore avec toutes sortes de pensées limitantes, comme la peur du regard des autres et mon propre juge interne qui n’est pas en reste….

On m’a expliqué qu’il fallait souvent plusieurs mois à un enfant pour sortir de ce rythme qui lui a été imposé depuis sa tendre enfance, et retrouver sa propre vibration, ses aspirations profondes… La dépollution ne se fait pas en un claquement de doigts. Trois mois minimum, jusqu’à plusieurs années dans certains cas.

Iels n’ont pas forcément envie d’emblée, là tout de suite, de faire des choses, iels ne savent peut-être pas ce qui leur ferait plaisir de développer, de découvrir, et iels ne sont pas forcément ouverts à ce que je leur propose ! Comment patienter sereinement qu’iels trouvent les voies qui leur parlent dans une société de résultats immédiats, qui demande de tout justifier tout de suite par du concret, du tangible, du palpable, sans s’intéresser aux processus subtils et nécessaires à l’assimilation de notions à long terme ?

Qui plus est, iels ne sont pas DU TOUT enthousiasmés par les matières classiques, et tout particulièrement les maths et le français. Iels ont plutôt tendance à se rouler par terre pendant des heures avant de se mettre à leurs exercices quand je leur demande. J’abandonne finalement l’idée de coller au programme académique pour cette fin d’année.

L’Instruction en Famille ne sera donc pas l’Ecole à la Maison.

 

Par contre, je ne peux pas non plus les scotcher en permanence devant un écran pour avoir la paix.

Je le fais beaucoup quand même, surtout quand je dois aller en entreprise pour mes prestations, ou quand j’ai des rendez-vous à la maison, avec des temps libres (jeux type Minecraft, Roblox, je-mets-du-vernis-sur-des-ongles-virtuels, ou vidéos dont l’intérêt m’échappe) et des temps « culture » (épisodes de C’est Pas Sorcier avec petit compte-rendu à la fin, ou encore des programmes jeunesse qu’iels choisissent dans une liste que j’ai dressée, C. se passionne d’ailleurs pour la mythologie grecque, grâce à une série de podcasts proposés par Arte …)

Le rythme jour/nuit continue de se décaler. Iels s’endorment très tard, et je ne me vois pas les réveiller le matin lorsque ce n’est pas nécessaire. Leur père insiste pour qu’iels aient un rythme « normal », que physiologiquement, c’est mieux pour leur développement. Ce qui n’est pas faux, mais j’aimerais les laisser trouver LEUR rythme…. C’est compliqué, et ça crée de fortes incompréhensions. On essaie de trouver un compromis, on tâtonne, on se fait la gueule. On n’est pas d’accord, mais je finis par concéder que c’est peut-être important.

Un matin, je leur explique que j’ai quand même un peu besoin de leur aide :

  • Vous savez, ce choix qu’on a fait, de faire l’instruction en famille, tout le monde ne le fait pas… et ça inquiète un peu certaines personnes autour de nous.
  • Ah bon, dit C., et pourquoi ?
  • Eh bien, je ne sais pas, iels pensent que ça risque d’être compliqué en grandissant, que vous ne serez peut-être pas adaptés au fonctionnement de la société…
  • Boarf, répond S. goguenard, c’est pas parce qu’on va à l’école qu’on l’est !

Force m’est d’admettre que ça n’est pas faux non plus.

 

On a assez vite abandonné l’idée d’apprendre des chansons en anglais. Trop compliqué de se mettre d’accord. On commence à écrire la pièce de théâtre. J’essaie de ne pas trop intervenir… et me mords les lèvres pour ne pas leur dire : « vraiment… ? une histoire caca pipi prout… ? Est-ce bien nécessaire.. ? »
Mais c’est visiblement ce qui les fait rire, là, maintenant, alors, finalement, pourquoi pas ?

Je commence à comprendre pleinement à quel point nous essayons de tout contrôler dans notre vie. A commencer par nos enfants.

Nous avons, nous parents, notre grille de lecture du monde. Qui date déjà, en moyenne, de quelques dizaines d’années … Et nous oublions trop souvent que nos enfants ont la leur, et qu’elle n’est pas forcément exactement la même que nous. Voire pas du tout… Ce qui peut créer d’énormes incompréhensions, sources sans fin de conflits. Où l’enfant perd, en général, l’adulte pouvant user de l’arme ultime, c’est moi l’adulte, moi le parent, je sais ce qui est bon pour toi, tu te tais.

Si on nous avait laissé la latitude d’apprendre ce qui était bon pour nous lorsque nous étions enfants, aurions-nous ce besoin d’imposer autant de choses aux nôtres ? Pourquoi croyons-nous avoir cette légitimité à décider pour eux en tout point de leur vie ? Et ce besoin de contrôle s’insinue partout dans nos éducations, dans nos réactions aux leurs, dans nos jugements de valeurs qui s’immiscent dans les plus petits plis du quotidien.

Un enfant ne prend pas QUE ce que nous sommes prêts à partager, il ne s’arrête pas à ce que nous prétendons lui transmettre consciemment. Il absorbe tout ce qu’il perçoit, ce qu’il ressent, de nous en premier lieu, et de son environnement aussi, sans forcément le comprendre ou l’analyser. Il le reçoit, l’assimile, le synthétise, se l’approprie ou le rejette.

Khalil Gibran a dit : « nos enfants ne nous appartiennent pas ».

Nous en sommes les vaisseaux, nous avons servi de canaux pour qu’iels arrivent sur terre, mais qui ils sont, et qui iels deviennent leur appartient en premier lieu à elleux, et à elleux seul.es. Si on écoutait un peu plus les émotions et les ressentis des enfants, nous serions probablement surpris.

Mais il faudrait pour cela que nous soyons nous-mêmes suffisamment matures du cortex préfrontal pour ne pas prendre certaines de leurs remarques ou actions comme des attaques personnelles, ou leur prêter de mauvaises intentions, simplement parce que ce qu’iels proposent, là où iels en sont à ce moment-là, sans filtre bien souvent, vient interférer ou va à l’opposé de l’endroit où nous en sommes, nous, adultes… Alors nous faisons bien souvent valoir notre plus grand âge et notre expérience, pour justifier qu’iels se plient à notre volonté, plutôt que nous à la leur…

Je commence à me rendre compte à quel point il me reste encore beaucoup de chemin à faire…
Alors même que je croyais m’être déjà affranchie d’injonctions parasites sur certains points, je suis bien loin de m’être débarrassée de tout ce qui est ancré en moi malgré moi, et qui vient biaiser ma façon d’être au monde, ma façon d’être mère, d’être femme, d’être moi.

Je ne sais plus bien par quel bout le prendre, je m’épuise à essayer de tout mener de front, surtout ne pas montrer que je galère, je me sens tellement attendue au tournant !

Je me sens seule face à ce gouffre qui vient de s’ouvrir en moi, mais j’assume, puisque je l’ai voulu.

Mon énergie commence à baisser, je ne pensais pas que ça ébranlerait aussi profondément mes fondations, que j’avais eu l’audace de croire suffisamment solides….

Qui plus est, même si je ne m’étais pas lancée dans cette aventure pour en ressortir indemne, je ne m’attendais pas à me retrouver si crûment face à mes propres conditionnements, mes peurs, mes pensées limitantes, mes croyances…

Le travail de Jérémie Mercier sur les émotions m’inspire beaucoup. Il explique assez bien comment l’expression des émotions est absolument vitale, et qu’en l’occurrence, la non-expression des émotions, souvent mortifère. A quel point il est primordial d’apprendre à les exprimer, de trouver une façon de les laisser sortir, sans se blesser et sans blesser les autres. Qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise émotion. L’émotion EST, agréable, ou pas.

Je vois les autres adultes autour de moi, tenter sans arrêt d’essayer de contenir et d’étouffer les émotions débordantes de leurs enfants, au lieu de les laisser s’exprimer. Je nous vois tous contenir et étouffer nos émotions, quelles qu’elles soient, puisque nous n’avons pas non plus appris à les exprimer sainement.

Ce n’est pas, bien sûr, ce que nous apprenons à l’école. A l’école, comme partout ailleurs dans notre société, nous apprenons à « gérer les émotions » et non pas à les exprimer. Dans cette démarche, malheureusement, on se retrouve bien souvent à seulement mettre un couvercle sur ce qui nous agite réellement.

Nous avons intégré que nous ne devions pas laisser paraître ce que nous ressentons, qu’un adulte se doit d’être raisonnable. Face aux situations qui nous dépassent, au lieu de prendre le temps d’écouter ce qui se passe en nous, nous nous raccrochons bien souvent aux vieux préceptes qui ont bercés notre enfance : « ne pleure pas, ça fripe la peau », « si tu fais la tête, tu vas rester comme ça », « si tu n’es pas sage, le Père Noël ne t’apporteras pas de cadeaux », « arrête de ricaner », « ne parle pas si fort », « tu es obligé de hurler quand tu chantes ? », etc…

Nous essayons non seulement de ne pas tomber trop bas dans des émotions qui nous dérangent, mais aussi de ne pas monter trop haut dans les ressentis qui nous emportent (trop de bonheur, c’est presque plus louche qu’une grosse dépression, de nos jours !).

Je commence à me noyer dans mon propre broyage. Le froid et le manque de lumière de cette période de l’année n’aident pas à envisager des ouvertures… vivement le printemps et son renouveau !

En toile de fond, un virus, qui se répand en Chine depuis décembre, commence à arriver en Europe.
Au fil des semaines, on l’entend se rapprocher de plus en plus de nos frontières.

Les enfants trouvent un semblant de rythme et ont l’air de plutôt bien le vivre, tout ça ressemble beaucoup à de grandes grandes vacances. Bien sûr, iels aimeraient un peu plus voir leurs copains et rencontrer du monde, mais iels se lèvent quand iels veulent, trainassent en pyjamas, jouent, aux doudous, aux legos, lisent des BD, dessinent, on va faire des balades, certaines très sympas. Leur relation est plus sereine aussi, iels se disputent moins et coopèrent plus. Ils trouvent leurs marques, mais moi pas.

De mon côté, je vois surtout le négatif. Je suis leur adulte référent, de fait, nous passons 24h/24 ensemble, mais je n’ai déjà plus de jus pour être mon propre moteur. Ce que j’ai à faire me coûte une énergie monumentale, et je me rends compte à quel point je manque d’imagination. Comment leur demander de s’enthousiasmer sur des sujets si je n’en suis pas moi-même capable ? Et comment trouver la force de leur proposer des activités sympas quand j’ai l’inspiration à sec et la vibration proche de l’infrason ?

Début mars, croyant avoir atteint mes limites, dépitée de ne pas réussir à trouver un rythme qui me satisfasse, j’annonce aux enfants qu’on finit l’année comme ça, mais qu’iels retourneront à l’école en septembre. Je leur explique que j’ai cru que j’en étais capable, mais que je me rends compte que non.

Quelques jours plus tard, tombe l’incroyable annonce : le pays est confiné, les écoles sont fermées, nous ne pouvons plus sortir à plus d’1 kilomètre de chez nous, et il nous faut imprimer des attestations sur l’honneur à chaque fois qu’on franchit notre portail.