Tout finit par faire sens – chapitre 3

Confinement général !

Pour la découverte pratique du monde, on repassera ! Voilà que notre expérience se transforme en huis-clos avant même d’avoir vraiment commencé…. Sans parler de l’électrochoc émotionnel que cette annonce provoque !

Autour de nous, les avis se modulent soudain… de gentille excentrique qui tente l’école à la maison, je passe à visionnaire, qui avait dû sentir le truc venir, et qui doit bien avoir des tips et autres conseils à partager.

Je fais mine d’en rire, et je botte en touche sans m’étendre sur le sujet.

S’iels savaient combien, à l’intérieur, je suis sidérée, pétrifiée, comme le lapin dans les phares de la voiture. Figée sur place, gelée en dedans, prête à être pulvérisée en mille morceaux de glace….

Une foule de questions m’assaillent : de quoi demain sera fait ? Quel est leur futur ? Qu’est-ce qui nous attend ? Allons-nous tous mourir de ce virus ? Est-il vraiment si dangereux et mortel, qu’il faille arrêter de vivre avant même de l’avoir attrapé ? Et dans ces conditions, encore plus que juste avant, qu’ont-iels besoin d’apprendre, vraiment ? Le théorème de Pythagore et la racine carrée d’une équation à 2 inconnues, que mais.ou.et.donc.or.ni.car sont des conjonctions de coordination et que le plus-que-parfait du subjonctif peut avoir le sens du conditionnel passé….. ? VRAIMENT ???

 

La perception de l’environnement change subitement, un peu comme quand on a des poux à la maison… Tout d’un coup, on se rend compte des kilomètres de tissus où ils pourraient se loger : tapis, rideaux, coussins, peluches, habits, anoraks, écharpes, sièges de voiture…

Pareil pour le virus, menace invisible qui biaise pourtant considérablement notre rapport aux choses qui nous entourent. Sans parler des rapports humains.

Les comportements de masse commencent à provoquer des pénuries… papier toilette et pâtes en premier, puis farine, œufs… Nos dirigeants jonglent, prennent des décisions parfois à 180° les unes des autres, dans des intervalles très courtes, ce qui n’aide pas à s’y retrouver.

Nous voilà donc obligé.es, sous peine d’amende en cas de contrôle, d’imprimer ou rédiger une attestation, même pour sortir 1 heure maximum dans un rayon maximum d’1 kilomètre. Le masque passe d’inutile à obligatoire dans les magasins, puis dans les zones extérieures un peu denses, tels les marchés. Scènes improbables de personnes qui vont marcher en forêt, masque sur le nez et gel hydro alcoolique dans les poches.

Bon an, mal an, on s’adapte, je ne travaille plus, de fait. Heureusement, le gouvernement met en place des aides, dont je bénéficie. Un souci en moins. Qui plus est, j’ai la chance de partager ma vie avec quelqu’un qui génère des revenus supérieurs aux miens, et qui continue de travailler.

J’essaie de prendre le temps de me reposer, depuis le temps que je me fréquente, j’ai identifié que mes phases dépressives étaient souvent liées à une grosse fatigue physique, et par ricochet, psychique.

Je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter quant à la rentrée scolaire de mes enfants en septembre. Et si je les avais mis en échec scolaire? Et s’iels étaient complètement largués, en retournant à l’école ? Je vois notre petite voisine, qui a le même âge que notre fille, qui écrit déjà très bien et vite. C., qui est gauchère, a une écriture extrêmement appliquée, mais qui lui prend un temps fou. Et lorsqu’elle a le choix, elle opte pour un alphabet bâton et une orthographe phonétique.

Je commence à cerner ce qui est important pour moi. Oui, pour être un peu plus sereine, j’ai quand même besoin d’un minimum de connexion aux choses du vieux monde… L’important est qu’iels sachent correctement lire, écrire, et compter. A partir de là, iels sont déjà bien armés pour apprendre, en fait…

Mais ça ne me suffit pas vraiment pour aller pleinement mieux. J’ai beau essayer de me requinquer, je me sens maussade, plus rien ne vibre en moi. J’ai peur.

Mon compagnon me rassure, il le voit, lui, le bien que ça fait à nos enfants, cette expérience !

Notre fille sait maintenant assez précisément reconnaître les émotions (parfois violentes) qui l’agitent, et sait nommer en temps voulu celle qui la taraude, ce qui réduit remarquablement le nombre d’envolées douloureusement nihilistes, et simplifie considérablement notre quotidien…
Elle approfondit ses connaissances sur la mythologie grecque, sur laquelle elle fait quelques petits exposés à l’aide de livres et de recherches sur internet, elle découvre le Lac des Cygnes, qu’elle se met spontanément dans les oreilles lors d’un temps de lecture, par exemple…

Notre fils se permet d’exprimer lui aussi ce qu’il vit et n’hésite pas à faire valoir son point de vue, il manifeste même spontanément son amour par des gestes et des mots qui ne sortaient pas auparavant… Il passe des heures de concentration à imaginer ses petits films en Lego. Il bouge minutieusement ses personnages pour leur faire prendre vie, photo par photo, micromouvement par micromouvement (avec la même concentration que lorsqu’il trie les lardons mélangés au reste de la poêlée). Il regarde des vidéos d’autres pour s’inspirer et invente des astuces pour faire ses effets spéciaux, il se débrouille ensuite pour trouver du son et l’ajouter aux images.

Iels sont beaucoup plus complices, à l’aise dans leurs baskets, confiant.es… Chacun à leur rythme, iels découvrent où iels en sont, ce qui les intéresse et les enthousiasme.

Et nous avançons, un peu cahin-caha jusqu’au mois de juillet, où j’ai officiellement le droit de ne plus me prendre la tête avec le fait que je n’arrive pas à les faire travailler comme je voudrais sur les matières académiques.
J’essaie de me rasséréner quant à leur rentrée de septembre, tout le monde a été chamboulé par le confinement et il est fort probable qu’iels ne soient pas les seuls à avoir besoin de révisions…

 

Un premier constat s’impose à moi. Si nous laissions les enfants découvrir la vie et le monde de manière libre et accompagnée, tout en leur proposant un éventail de matières variées, sans le jugement de valeur qui place maths et français sur un piédestal au détriment de tous les autres angles d’approche, il me semble qu’iels seraient en mesure, vers 10-11 ans (peut-être entre 10 et 14 ans), de savoir vers quoi iels ont envie de se tourner, les potentiels qu’iels ont envie de développer, dans un premier temps. Et nous serions sûrement surpris ! Il n’est pas dit que tout le monde se rue sur les matières aujourd’hui considérées comme annexes, et quand bien même… ?

Pourquoi continuer à penser l’école comme dans les années 70-80, alors même que les enjeux et les défis à relever ont évolué de façon exponentielle, et particulièrement depuis les 20 dernières années ?

Pourquoi ne pas laisser à la jeunesse l’espace de créer les solutions de demain ?

 

Les vacances d’été font du bien, nous partons nous ressourcer en famille dans des endroits magnifiques, loin de la ville et de son agitation frénétique, au milieu d’arbres au moins centenaires, et de lacs aux eaux turquoises, sur les routes à contre-courant, dans des endroits où nous croisons peu de gens…

J’aime voir mes enfants profiter du monde qui les entoure, s’en nourrir et s’épanouir dedans. Je voudrais que toute la vie soit toujours comme les grandes vacances. Avoir simplement le temps de les voir grandir, de passer du temps avec eux, et les accompagner à la découverte de toutes ces merveilles dont regorge le monde…

Pourquoi pas, finalement ?